28.
L’abandon fut progressif mais irrémédiable.
Les visites de ses filles se firent plus rares. Elles finirent par ne même plus donner d’excuses.
La dernière personne à lui rendre encore visite fut sa femme Isabelle. Elle n’arrêtait pas de seriner comme un mantra : « J’ai l’impression que tu vas un peu mieux » et : « Je suis sûre que tu vas t’en sortir. » Elle essayait probablement de s’en convaincre elle-même. Elle entra pourtant à son tour dans le cycle des excuses peu crédibles puis finit par ne plus venir du tout. Voir un œil qui s’agite au-dessus d’une bouche qui bave n’était pas vraiment réjouissant.
Et Jean-Louis Martin passa sa première journée sans le moindre contact extérieur. Il se dit qu’il était l’homme le plus malheureux de l’univers. Même un clochard, même un prisonnier, même un condamné à mort avaient un sort plus enviable que le sien. Eux au moins savaient que leur tourment cesserait un jour. Alors que lui n’était plus qu’un être « condamné à vivre ». Il savait qu’il continuerait éternellement à stagner aussi immobile qu’un végétal. Même pas. Le végétal ça pousse. Lui était comme une machine. Un fer à repasser. D’un côté on introduisait de l’énergie par perfusion, de l’autre on surveillait son pouls, mais où était la différence entre la chair et la mécanique qui permettait à cette chair de ne pas disparaître ? Il était le premier humain devenu machine et qui pourtant continuait à penser.
Maudit accident de voiture. Ah ! si je tenais le type qui m’a mis dans cet état !
Ce soir-là, il songea que rien ne pouvait lui arriver de pire.
Il avait tort.